Marie Gayte : Oh my God !



Enseignante à l’UFR Lettres et chercheuse au laboratoire Babel de l’Université de Toulon, Marie Gayte est spécialiste de la politique américaine contemporaine. Ses travaux l’ont notamment conduite à étudier de près les liens étroits tissés entre la religion et les élections présidentielles.

Quelle place la religion prend-elle dans les élections américaines ?

La religion joue un rôle non-négligeable : on estime que les catholiques - qui représentent entre 20 et 25% de l’électorat - constituent un électorat changeant, "swing", d’autant plus important qu’il est fort dans certains États-clés tels que la Pennsylvanie, l’Ohio, ou le Michigan. Il est donc important pour les partis de les courtiser. Les évangéliques constituent pour leur part un électorat acquis aux républicains depuis les années 1970, après avoir été longtemps démocrates. Les musulmans seraient plutôt démocrates, plus pour des raisons économiques et sociales. La scientologie joue un rôle marginal, mais pas les mormons, qui constituent un bloc républicain solide.

Comment expliquez-vous le basculement du vote catholique des démocrates vers les républicains ?

Les catholiques américains ont longtemps pris le parti des urbains et des minorités ethniques représentés par les démocrates, contre celui des WASPS, les White Anglo-Saxon Protestants, défendus par les républicains. Les catholiques eux-mêmes étaient considérés comme une minorité jusqu’à l’élection de John Kennedy, qui a symbolisé leur accession à part entière à la société américaine, intégrant ainsi largement une classe moyenne soucieuse de baisses d’impôts. Par ailleurs, le parti républicain a su s’emparer des questions qu’ils jugent importantes comme l’opposition à l’avortement, tandis que le parti démocrate a adopté une position inverse assez extrême, stigmatisant toute opposition à l’avortement au sein du parti.

La religion est-elle un thème électoral au même titre que l’immigration, l’économie, le système de santé...?

La religion est un thème de campagne dans la mesure où depuis le passage de la réforme de santé d’Obama, les entreprises et institutions, y compris les hôpitaux et universités religieux, très nombreux aux US, doivent fournir, directement ou indirectement, une couverture de santé comprenant la contraception à leurs employés. Ceci a conduit beaucoup de leaders évangéliques et catholiques à parler de menaces graves sur la liberté religieuse du pays. Ce thème a été repris par les candidats à la primaire républicaine, notamment Ted Cruz. Donald Trump a également déclaré que les chrétiens "retrouveraient le pouvoir" s’il était élu. Par ailleurs, comme dans toute élection, la foi et le niveau de religiosité de chaque candidat sont scrutés.

Quelle est la position des candidats à ce sujet ? Ont-ils fait des propositions, appels du pied directs ou indirects ?

Trump se pose en champion des évangéliques et de leur liberté religieuse bafouée. Il a obtenu le soutien du président de la plus grande université évangélique du pays et fils du célèbre télévangéliste Jerry Falwell, jadis soutien de Reagan. Clinton de son côté a été plus subtile en évoquant seulement sa foi.

La position du Pape sur les candidats peut-elle influencer le vote des Américains ?

Je ne le pense pas. Ce dernier a bien dit que Trump n’était pas un "vrai chrétien" du fait de son projet de mur sur le Mexique. Pour autant, l’influence du pape ou des évêques, si elle peut être perçue comme déterminante par les politiques, ne l’est pas vraiment chez les électeurs, d’après plusieurs études. Dans un sondage paru en février dernier, Trump était considéré par une majorité d’Américains comme "pas très chrétien". Cela ne l’a pourtant pas empêché de remporter de nombreux suffrages mêmes dans les États du Sud alors même que son positionnement semblait constituer un obstacle. Chez beaucoup de Républicains, le vote Trump est avant tout un vote anti-Hillary !
Les évangéliques de leur côté sont très divisés.

Le premier débat télévisé entre Clinton et Trump, après les conventions nationales, est-il particulier ?

Les recherches sur ce sujet ont mis en évidence le peu d’influence des débats sur les sondages, ceux-ci ne pèsent sur l’opinion qu’à la marge. Ceci dit, nous sommes dans une élection inhabituelle. On ne sait pas à quoi s’attendre de la part de Donald Trump. Va-t-il adopter un ton plus "présidentiel", ou au contraire accumuler les provocations ?
On ne connait pas encore les thèmes qui seront traités lors des débats mais Trump semble avoir demandé à ce qu’il se fasse sans modérateur. Cela peut vraiment dégénérer !



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