Arnaud Richard, laboratoire BABEL



Professeur des sciences du langage à l’Université de Toulon, passionné de rugby, ardéchois d’origine et méditerranéen de cœur. Arnaud Richard conjugue ses centres d’intérêt dans un parcours où se croisent langage, sport, culture et transmission. Il revient sur son itinéraire, ses travaux de recherche, et l’objet qui l’accompagne au quotidien : un ballon du RCT.

Pourquoi avoir choisi ce ballon pour la photo ?

Quand je suis arrivé à l’Université de Toulon, j’ai tout de suite voulu décorer mon bureau avec un objet qui symbolise la ville. Sur le territoire, il y a de belles choses : la voile, le handball féminin mais le RCT, c‘est vraiment particulier. J’adore le rugby, j’y ai joué et j’étais déjà, sinon fan, en tout cas supporter du club parce que j’aime cette identité locale très forte, très assumée, un peu isolée dans le paysage rugbystique français : le sud-est face au sud-ouest, ou à l’Île-de-France.
Ce ballon-là, c’est l’édition spéciale de 2014, l’année du doublé : Top 14 et Coupe d’Europe. C’était une évidence, un coup de cœur.

En quoi consiste précisément ta recherche ?

Je suis professeur de sciences du langage, avec un «  s  ». J’y tiens beaucoup parce que cela reflète la diversité de nos approches. Mes travaux tournent autour de l’analyse du discours, notamment médiatique, pour comprendre comment on parle d’un groupe, comment on construit des identités, qu’elles soient nationales ou locales. Ça peut être à travers des articles dans la presse ou des commentaires radio, par exemple.
Je travaille aussi sur des terrains spécifiques, comme le sport. Je suis président du groupe ministériel d’experts en terminologie pour le ministère des Sports. On propose des équivalents français à des mots d’origine étrangère : «  corner  », «  penalty  », «  coach  », etc. C’est un dispositif officiel, coordonné par le ministère de la Culture, avec l’Académie française et son service du dictionnaire, pour publier au Journal Officiel les mots que nous proposons avec leurs définitions.

« L’étude du langage c’est l’étude de l’humanité »

Il y a un petit côté «  irréductibles Gaulois  » dans cette démarche

(Rires) Oui, un peu. C’est issu de la loi Toubon d’enrichissement de la langue française, qui a fêté ses 30 ans cette année. C’est une démarche d’inclusion de la francophonie. On n’a jamais cherché à remplacer «  rugby  » ou «  football  ». Il ne s’agit pas de mettre du français partout mais qu’il y ait au minimum du français et une autre langue.
Cette approche permet aussi d’intégrer d’autres langues, comme le provençal ou l’occitan. Chaque année, avec mes étudiants, on fait une enquête de terrain pour repérer les termes provençaux encore en usage dans le français parlé. La «  cagole  » est-elle seulement marseillaise ou aussi toulonnaise ?

C’est aussi une manière de défendre les langues régionales ?

Exactement. Par exemple, en rugby, on utilise le mot «  chistera  », un mot basque. Tant qu’on fait des chisteras, le mot reste vivant. Une langue disparaît lorsque son dernier locuteur disparaît. Ce que j’aime dans l’étude du langage, c’est que c’est l’étude de l’humanité. Le langage est peut-être la caractéristique principale qui nous définit.
Je ne parle pas le provençal couramment ni même l’occitan en général - je suis d’origine cévenole - mais je pense que c’est important de conserver ces langues pour ceux qui le souhaitent, et de comprendre leurs subtilités. Le provençal de Marseille, ce n’est pas celui d’Aubagne, ni celui de Toulon ou de Saint-Raphaël. Ces spécificités locales méritent d’être connues et valorisées. J’essaie d’apporter ma petite pierre pour qu’on ne les oublie pas. Aucun mot est inutile.

Serait-ce si grave si ces langues disparaissaient ?

Nous vivons dans un monde complexe et il faut apprécier à sa juste valeur la complexité du langage qui le reflète et nous permet de vivre à l’intérieur de lui. Des expressions comme «  ensuqué  » ou «  ça pègue  » ne sont pas juste des traductions, c’est une manière particulière d’exprimer une expérience. Le langage, c’est aussi cette finesse. C’est ce qui nous permet de nous exprimer dans différents registres.
Il n’y a pas un français unique. En France, on peut très bien emprunter des expressions au français du Mali, comme à Bamako emprunter au français de France. D’ailleurs, qu’est-ce que «  le français de France  » ? On ne parle pas totalement le même à Toulouse qu’à Clermont-Ferrand.

Qu’est-ce qui t’a donné envie de te lancer dans ce domaine ?

C’est un coup de chance, et un acte manqué. Ma mère est orthophoniste. Donc j’ai été sensibilisé au langage en passant du temps dans son cabinet où j’entendais des enfants s’exprimer différemment. J’aimais les lettres, les langues, mais aussi la rigueur scientifique. Et je faisais du sport.
Je voulais aller en STAPS à Montpellier mais, étant en Ardèche, je dépendais d’une autre académie. Pour en changer, il fallait être sportif de haut niveau. Alors on m’a dit : «  Inscris-toi dans un cursus sans sélection, tu postuleras l’année suivante  ». J’ai choisi les sciences du langage, en double cursus avec les lettres modernes. Et là, révélation !
La linguistique m’a passionné. J’ai pu, à partir du master, intégrer une dimension sportive à mes recherches, et c’est devenu une partie importante de ma thèse de doctorat. J’ai pu allier le langage, le sport, la culture… tout ce que j’aime.

De quelle manière la linguistique t’a-t-elle percuté ?

Ce qui m’a percuté, c’est le mot, c’est la diversité et la complexité du langage, que ce soit à l’oral comme à l’écrit ; sa segmentation sous forme de son, d’un point de vue articulatoire avec ses fréquences, ses vibrations ; la phonologie, le système de construction de sons qui s’opposent pour créer des unités ; et la sémantique avec l’étude du sens des mots. S’ajoute la sociolinguistique qui intègre l’influence du monde sur le langage et vice versa.

Quel élève étais-tu au collège, au lycée ?

Studieux au collège. Au lycée, j’ai découvert l’internat, une certaine indépendance sans les parents. Mes notes et ma moyenne ont significativement baissé, mais j’étais toujours très investi. J’étais délégué de classe, je défendais les autres, ceux qui en avaient le plus besoin – moi y compris. Je travaillais quand il le fallait mais pas suffisamment pour avoir de très bonnes notes. Je pense que c’est parce que je n’avais pas tout de suite trouvé ce qui me passionnait vraiment.
Ce que j’aime à l’université, c’est que ça ouvre encore plus de possibles. Je le vois chez nos étudiants : certains ont des résultats moyens en licence, et brillent en master parce qu’ils ont trouvé leur voie. Quand on aime ce qu’on fait, on ne travaille plus. C’est du plaisir.

« On ne fait jamais vraiment d’erreur en allant à l’université parce qu’on apprend toujours »

Quel a été ton parcours ensuite ?

J’ai été au collège dans un petit village qui s’appelle Joyeuse, le lycée à Aubenas, en étant interne à partir de l’âge de 15 ans parce que mes parents habitaient trop loin, que le ramassage scolaire n’était pas performant. Ensuite, l’université, c’était une évidence. Il fallait absolument que j’aie le bac. Je l’ai eu au rattrapage. Je m’en serais voulu si je ne l’avais pas eu parce que je n’avais pas beaucoup travaillé, ou en tout cas trop tard. Mais bref, j’arrive à aller à l’université. Je découvre à moitié par hasard la linguistique, les lettres.
Ensuite, DEUG, licence, maîtrise, DEA, doctorat. J’ai essayé plusieurs spécialités : le traitement automatique des langues, le Français Langue Étrangère (FLE) pour apprendre le français aux non-francophones. Ça, j’ai aimé, ça m’aurait permis de voyager. J’ai fait mon doctorat, j’ai été assistant d’enseignement dont une année aux États-Unis. Et j’ai eu mon premier poste d’enseignant-chercheur à l’université de Montpellier Paul Valéry. J’y suis resté douze ans. Et puis j’ai été recruté à l’Université de Toulon.

Quel conseil donnerais-tu à un élève ?

Qu’on ne fait jamais vraiment d’erreur en allant à l’université parce qu’on apprend toujours. Mais il faut le tenter à fond, pas seulement venir un mois et se dire que cela ne fonctionne pas. Il faut essayer de s’accrocher pendant au moins un semestre parce qu’après il y a des passerelles pour se réorienter. Et puis, si ce n’était vraiment pas ça, et bien ce n’est pas grave.

Y aurait-il une œuvre qui symboliserait ton travail de recherche ?

Il y a un style littéraire, le roman universitaire, qui caricature la vie universitaire. Un tout petit monde, de David Lodge, représente des profs de littérature qui courent le monde grâce à leurs colloques. Mais avec aussi une vision un peu désuète parce que ça se passe dans les années 70. Ça ne symbolise pas mon travail, c’est un miroir déformant.



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