Gabriel Figueiredo, laboratoire LEAD



Maître de conférences, HDR, Gabriel Figueiredo explore les réseaux maritimes depuis la Méditerranée jusqu’au Pacifique. Comme d’autres étudient les villes ou les forêts. Ses recherches en économie portent sur les dynamiques portuaires, les échanges internationaux, l’impact environnemental du transport maritime ou encore la transition énergétique des territoires insulaires. Passionné par les flux, les données, et le potentiel de transformation des politiques publiques, ce chercheur à l’Université de Toulon, nous entraîne dans un monde où la mer, loin d’être un vide, est un espace riche de sens.

Quel est cet objet que tu tiens ?

C’est un cordage offert par un doctorant que j’ai encadré pendant quatre ans. C’est un travail manuel, personnel, qu’il m’a remis à la fin de sa soutenance. J’ai été touché. Ce geste symbolise à la fois le lien humain qui s’est tissé entre nous au fil des années, et le domaine maritime dans lequel je travaille. On avait d’ailleurs coécrit un article ensemble sur l’efficience des ports de croisière en Méditerranée, en explorant notamment comment le patrimoine culturel et environnemental pouvait affecter cette efficience.

Concrètement, sur quoi portent tes recherches ?

Ma recherche se situe à l’intersection entre l’économie maritime et l’économie internationale. On oublie souvent que 80 % du volume des échanges mondiaux transite par la mer. C’est un domaine immense, essentiel, mais encore peu exploré en économie en France, notamment parce que c’est un espace vide d’hommes. Pourtant, il nous renseigne beaucoup sur les dynamiques territoriales.
Je cherche à comprendre pourquoi certains ports connaissent des croissances soutenues, tandis que d’autres stagnent ou déclinent.

« L’économie maritime est un domaine immense, encore peu exploré en France »

Que t’ont appris l’étude de ces ports et ces réseaux ?

Il y a une hiérarchie très marquée dans les réseaux portuaires. On connaît tous les grands ports comme Rotterdam, Anvers ou Marseille, mais en Europe, il y a aussi une multitude de petits ports très actifs, souvent essentiels pour leur territoire. Le port de Calais, par exemple, est le deuxième port européen en nombre de navires accueillis si l’on considère leur jauge brute. Et pourtant, on n’y pense pas.

Ces dynamiques portuaires sont aussi des études sociologiques ?

C’est une étude d’abord économique. Elles nous renseignent sur les spécialisations territoriales, les choix politiques, les inégalités d’accès aux échanges. Je m’intéresse notamment aux trajectoires des ports européens : certains convergent vers la moyenne, d’autres divergent ou décrochent. Il y a aussi des ports en périphérie du réseau mondial, mal connectés, qui peinent à s’intégrer.

Tu étudies aussi l’impact environnemental du transport maritime…

Oui, depuis récemment je travaille et encadre une thèse sur les émissions de CO₂ liées au transport conteneurisé. L’objectif est de quantifier les émissions par conteneur, de les comparer selon les itinéraires, et d’identifier les facteurs qui expliquent les écarts observés qui peuvent être très importants selon le trajet emprunté et le type de navire utilisé.
Le transport maritime représente environ 3 % des émissions mondiales de CO₂. Il s’est fixé pour objectif d’atteindre la neutralité carbone en 2050, mais nous en sommes encore loin. Pour éclairer la prise de décision et progresser, il est indispensable de mesurer précisément les émissions et de comprendre les déterminants qui les influencent.

Quels sont les leviers d’action possibles à partir de ces données ?

Un des problèmes majeurs, c’est le transport conteneurs à vide. On peut aider les entreprises à choisir des routes plus sobres, ou à optimiser leurs chargements. On peut aussi envisager que le coût environnemental d’un itinéraire soit intégré dans son prix économique.
Mais ce n’est pas sans risque : les routes les plus efficientes en CO₂ sont souvent celles qui relient les grandes régions riches. Les petits territoires, comme les îles du Pacifique, sont desservis par des navires plus anciens, moins efficaces, qui émettent davantage. Si l’on pénalise uniquement les navires générant le plus d’émissions, on risque d’exclure ces territoires, alors même qu’ils sont fortement dépendants du commerce international.

Tu travailles aussi sur la transition énergétique dans ces zones insulaires, justement ?

Cela dépend de mes collaborations françaises ou étrangères. J’ai publié récemment, avec des collègues de notre laboratoire (le LEAD), un article sur la transition énergétique dans les petites îles, en particulier sur leurs difficultés à intégrer les changements vers les énergies renouvelables. Ce sont des territoires très vulnérables, fortement dépendants de l’extérieur, pour lesquels la transition vers les énergies renouvelables est à la fois urgente et complexe. Nous analysons les déterminants de leur trajectoire énergétique afin d’identifier les leviers susceptibles d’accélérer l’adoption des énergies renouvelables.

Comment est née ta passion pour ces sujets ?

Pendant ma thèse, j’ai eu la chance de passer un an à l’Université Maritime Mondiale à Malmö, en Suède. Une institution des Nations Unies spécialisée dans ces questions. Et c’est là que je suis «  tombé amoureux  » de ce champ de recherche. J’ai découvert un univers hybride, à la croisée de la géographie, des sciences de l’ingénieur et de l’économie. Ça a été un déclic. C’est un terrain très riche, et j’essaie d’y apporter les outils classiques de l’économie, mais en les adaptant à ce champ spécifique.

Tu parlais de données : c’est le cœur de ton travail ?

Oui, tout commence par une question de recherche. Et dans le domaine maritime, ce n’est pas simple. Certaines bases de données coûtent des dizaines de milliers d’euros par an. Comme je n’ai pas accès à ces ressources, je développe souvent mes propres bases, en croisant des sources gratuites, en nettoyant, en reconstruisant.
C’est un travail long, mais qui donne des résultats intéressants. Et ça me permet aussi de proposer d’autres angles, d’autres indicateurs, parfois plus adaptés aux réalités des territoires.

Est-ce que tu penses que tes recherches peuvent avoir un impact ?

L’impact dépend avant tout de la qualité des données disponibles. Mon travail consiste à les collecter, les croiser et les reconstruire pour analyser les dynamiques des ports, les trajectoires des territoires, les flux des échanges ainsi que les émissions générées. Ces informations permettent de mieux comprendre pourquoi certains ports déclinent, comment les flux s’organisent, où apparaissent les inégalités et quels niveaux d’émissions en résultent. Elles peuvent être utiles aux décideurs, aux entreprises ou aux ONG, et contribuent aussi à donner de la visibilité à des régions souvent moins étudiées, moins connectées et plus vulnérables face aux chocs à venir.

« Ce qui compte avant tout, c’est la curiosité »

Quel a été ton parcours ? Tu viens du Brésil, c’est bien ça ?

Oui, je suis arrivé en France au début du lycée. Je parlais très peu français, j’ai donc dû m’adapter. J’ai commencé par une fac de lettres, en LEA. Puis je me suis orienté vers l’économie. J’ai fait un Erasmus en Espagne très enrichissant. J’encourage beaucoup d’étudiants à voir ce qu’il se passe ailleurs. Ensuite, je suis revenu à Nantes pour suivre un master où j’ai découvert la recherche, en faisant un mémoire sur le commerce international.
J’étais un élève moyen au départ, autour de 12 ou 13 de moyenne. Je révisais peu, je n’avais pas forcément de méthode. Mais c’est le mémoire de master qui m’a réveillé : j’ai aimé construire une problématique, chercher des données, produire une analyse. C’est là que je me suis dit que je voulais faire une thèse.

Quel conseil donnerais-tu à un élève qui hésite à se lancer dans des études scientifiques ?

Ce ne sont pas toujours les meilleurs élèves qui deviennent les meilleurs chercheurs. Beaucoup se révèlent vraiment une fois qu’ils trouvent un objectif qui les motive. Ce qui compte avant tout, c’est la curiosité : ce moment où l’on se demande «  Pourquoi ça se passe comme ça ?  ». La recherche, c’est ça : poser des questions, chercher des réponses, tester des hypothèses. Et surtout, ne pas hésiter à aller plus loin.

Enfin, s’il fallait résumer ton travail avec une œuvre ?

Il y a une phrase des Shadoks qui m’a marqué : «  Quand tu ne sais pas où tu vas, vas-y le plus vite possible  ». Elle illustre parfaitement le temps passé durant une thèse : on explore de multiples pistes, on tâtonne, on avance parfois de manière boulimique, sans savoir si cela aboutira. Mais certaines directions ouvrent des perspectives inattendues.



Université de Toulon - https://www.univ-tln.fr/Gabriel-Figueiredo-laboratoire-LEAD.html - comweb@univ-tln.fr