Traiter les boues de lavage des phosphates pour en faire un produit écologique



Chaque année, près de 165 millions de tonnes en sont produits. Utilisé notamment comme fertilisant dans l’agriculture, le phosphore connaît une exploitation en forte croissance qui n’est pas sans conséquence sur l’environnement. Les réserves s’épuisent et son extraction laisse des boues qui, à force de s’accumuler, forment des digues, réduisent les terres arables et défigurent le paysage. Détaché à l’Université de Toulon jusqu’au 22 mai, Mohammed Mansori*, enseignant-chercheur à l’Université de Cadi Ayyad (Maroc), travaille sur un nouveau procédé qui permet de valoriser ces déchets.

Rencontre avec Mohammed Mansori, enseignant-chercheur à l’Université de Cadi Ayyad (Maroc)

Comment se forment ces boues de lavage des phosphates ?

Les boues de lavage des phosphates sont des particules très fines qui se forment au cours du processus d’enrichissement du minerai de phosphate. Le phosphore y est séparé des minéraux de gangue par une combinaison de différentes unités de traitement : broyage, criblage, lavage puis flottation. C’est durant l’avant dernière opération que sont générées les boues de phosphates. En 2010, 28,1 million de tonnes de boues ont été crées.

Quelles sont les conséquences de cette industrialisation ?

Les boues de lavage sont stockées dans les bassins de résidus, généralement à l’air libre et finissent par former des digues qui défigurent le paysage et les terres arables. C’est un véritable problème au Maroc : l’exploitation et la valorisation des substances minérales jouent un rôle important dans l’économie du pays. Cependant, cette industrie génère des rejets qui peuvent être à l’origine de la dégradation de l’environnement. La prise de conscience au sujet de la protection de l’environnement et de la gestion des déchets a poussé le Maroc à faire évoluer sa réglementation en obligeant aujourd’hui les opérateurs miniers à avoir une approche de gestion environnementale appropriée de leurs rejets. Il existe des sites miniers abandonnés, qui n’ont pas été gérés à l’époque en tenant compte des impacts potentiels sur l’environnement, et qui génèrent aujourd’hui des quantités importantes de contaminants. Comme la mine de Kettara, proche de Marrakech. L’extraction de la pyrrhotine, entre 1964 et 1981, a produit 2,83 Million de tonnes de résidus miniers et de stériles déposés sur une superficie d’environ 16 ha. La mine étant fermée, en plus du risque d’un affaissement minier à cause des vides souterrains, il existe un risque de pollution des eaux souterraines et de surface suite au phénomène bien connu de drainage minier acide (DMA).

Existe-t-il des moyens aujourd’hui pour traiter ces boues ?

À ce jour, il n’y a pas beaucoup de moyens. Il existe bien quelques applications dans le domaine du bâtiment ou de la construction des routes mais elles ne peuvent pas consommer toute la quantité de boues de lavage produite.

Quelle solution proposez-vous ?

Les boues de lavage des phosphates sont des déchets au pH basique. L’idée c’est de les valoriser en les mélangeant avec de l’argile, des cendres volantes ou d’autres déchets miniers au pH acide. Comme ceux issus de la production de la pyrrhotine qui sont également stockés à l’air libre. À chaque pluie, ils se diluent dans le sol et polluent les nappes phréatiques.
Nous avons déjà réalisé des essais de valorisation sur une partie du site de Kettara, par recouvrements multicouches (résidu-stérile-sable) tout en utilisant des boues de lavages des phosphates. Les premiers résultats sont suffisamment encourageants pour espérer bientôt passer à la phase industrielle.

Comment pourrions-nous utiliser ces sous-produits ?

On peut les réutiliser dans la céramique conventionnelle par exemple, ou bien dans la céramique fonctionnelle : agrégats légers dans la culture hydroponique, granulats pour l’isolation thermique et acoustique, briques, mortiers, bétons, membranes filtrantes pour la dépollution des eaux et le traitement des effluents, géo-polymères… Ce processus de valorisation est original et considéré comme une solution alternative puisqu’il est un grand consommateur de matière première.
On peut imaginer également des applications dans la céramique technique qui couvre les domaines de la santé et de l’optique, l’aéronautique et l’aérospatial, les transports et l’énergie, l’électronique… Voire dans le design.

Ce procédé pourrait-il être applicable aux boues de bauxite ou d’alumine ?

Ces propriétés que nous avons étudiées sur les boues de lavage des phosphates sont applicables à n’importe quel déchet minier. On trouve d’ailleurs de l’alumine dans les boues de phosphate et aussi dans l’argile. Donc, avec un léger changement dans les conditions opératoires (additifs, température de frittage, temps…), on doit pouvoir utiliser ce procédé pour les boues d’alumine et les boues de bauxite. D’ailleurs, une étude est en cours pour son utilisation avec les boues de dragage et de carrière qui constituent aussi une problématique mondiale.

Quels sont vos liens avec l’UTLN ?

Je suis un ancien étudiant de l’UTLN : j’y ai réalisé ma thèse en 1995 puis travaillé avec Claude Favotto sur plusieurs sujets. Nous en avons d’ailleurs monté une en co-tutelle sur les granulats à base de boues de lavage qui a donné lieu à plusieurs publications. Nous voulons maintenant poursuivre ce travail en proposant une nouvelle thèse en co-tutelle dans le domaine du stockage d’énergie. Car même dans ce domaine, on peut valoriser le phosphate. Et puis, ici, je me sens chez moi.

* Mohammed Mansori est co-auteur du livre Granulats à base de boues de phosphate : transformations thermiques, propriétés physiques et applications. En partenariat avec Mohamed Hajjaji, Rachid Hakkou, Mohamed AitBabram et Claude Favotto, enseignant-chercheur au laboratoire Im2np de l’Université de Toulon.



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