Marion Sandré : discours primaire(s)



Enseignante-chercheuse à l’UFR Lettres et Sciences humaines de l’Université de Toulon, Marion Sandré travaille sur le fonctionnement du discours et la construction de l’image des acteurs politiques par leur comportement discursif. Elle a notamment analysé les débats de l’entre-deux tours des Présidentielles 2007 et 2012, ainsi que celui des primaires socialistes de 2011. Dans le débat politique télévisé - son genre favori - elle travaille sur la façon dont les débattants se positionnent les uns par rapport aux autres dans l’interaction. Elle nous livre ses impressions sur les primaires de la Belle Alliance Populaire.

Trois débats en une semaine, est-ce bien sérieux ?

Ils ont été pris par le calendrier de Hollande, clairement. C’est dans la culture de la gauche d’organiser des primaires quand ils sont dans l’opposition. Là, c’est différent puisqu’ils sont au pouvoir : le Président sortant est un candidat naturel et légitime.
Mais ses tergiversations ont contraint les organisateurs de cette primaire à établir un calendrier tardif et surtout très compressé. Ce qui n’est pas forcément une mauvaise chose : la campagne de Fillon met du temps à redécoller depuis la primaire de la droite et du centre (PDC). Mais entre ces trois débats, il y a moins de temps pour qu’une dynamique se crée. Cependant, au soir du premier tour, on voit quand même que la campagne a permis à Hamon de se révéler et de terminer en tête.

Qu’avez-vous pensé des débats des primaires de la Belle Alliance Populaire ?

Avec 18 minutes de temps de parole par candidat et 1 minute par réponse, il y a eu peu d’interactions. C’était plus des interviews croisées – ce qui n’aide pas à avoir un discours approfondi - que des débats. Le premier a été plus suivi et plus policé que le second mais ce dernier a été plus interactif. L’audience du troisième débat se situe entre les deux. Soit exactement la même dynamique que pour la PDC ou pour la primaire de 2011 !

Sur le fond, à mon sens, la tension entre le regroupement de la gauche et la concurrence entre eux est assez bien équilibrée. On voit ce qui les oppose et les rassemble sur les différents sujets, avec des phénomènes de coalition et d’opposition qui varient selon les thématiques. C’est donc parfois un peu difficile de suivre leurs positionnements respectifs. Autre gros problème : on n’a aucune vue d’ensemble de leur projet ni de leur chiffrage. Le format des débats implique que certains points précis soient occultés et d’autres très débattus comme la proposition du Revenu Universel de Bennhamias et d’Hamon. Mais ça a permis à ce dernier, en se défendant, de se positionner clairement à gauche. Ça a donc plutôt joué en sa faveur.

Les échanges étaient souvent policés voire légers.

En 2011, avec mon collègue Arnaud Richard, nous avions noté la tension au cœur de ce nouveau genre : montrer à la fois qu’on s’oppose à son concurrent et qu’il existe une cohésion au sein du parti. Ça passe par la recherche d’un certain consensus, par des marqueurs particuliers notamment concernant la relation interpersonnelle (tutoiement, utilisation des prénoms), et par une certaine connivence. Là, les candidats plaisantent. Ca fait partie des contraintes du genre qui sont totalement absentes d’un débat d’entre deux tours à l’élection présidentielle.

En 2012, le débat avait très violent. Sarkozy avait traité Hollande de « père la vertu », de « petit calomniateur ». J’ai compté onze fois l’expression « vous mentez » ou « c’est un mensonge ». Ce n’est pas quelque chose que l’on peut faire dans une primaire interne. On est obligé d’y mettre les formes pour la pérennité du parti mais ça n’empêche pas les deux candidats finalistes d’être plus virulents. Il ne reste que deux projets et personnes en confrontation. C’est plus facile de s’opposer frontalement. Cela a été le cas entre Juppé et Fillon dans l’entre-deux tours de la PDC. Pour Juppé, c’était le coup de la dernière chance. Il n’avait plus grand-chose à perdre. Il est allé à la confrontation plus directement, notamment sur l’IVG. Il faudra voir comment Valls et Hamon vont gérer cet entre-deux tours.

Valls, comme Juppé au lendemain du premier tour, a rapidement lancé les hostilités, parlant d’une gauche qui pourrait gagner face à celle qui perdra les Présidentielles. Doit-on s’attendre à un débat musclé mercredi ?

Oui, il se trouve dans la position de l’outsider qui doit à tout prix aller à l’attaque. On l’avait vu avec Aubry, ça s’est vérifié avec Juppé. C’est donc tout à fait attendu chez Valls. Cependant, Valls, contrairement à Juppé, n’a pas fini sa carrière politique. Il s’agit aussi de se positionner dans l’après. Ca va peut-être un peu tempérer ses ardeurs. Ou alors il va aller au clash, quitte à faire exploser le PS. Ce qui est de toute façon une possibilité.

Le débat de mercredi va être très intéressant en termes de positionnements : entre les deux, naturellement et vis à vis de Fillon/Le Pen, les adversaires à la Présidentielle. Hamon et Valls seront aussi obligés de se positionner vis à vis de la gauche (et des idéaux qu’elle porte), d’Hollande, de Mélenchon, de Macron, de leur carrière future... Bref, ça va être une interaction où il faudra être subtil au risque d’y laisser des plumes !

Finalement, les primaires sont-elles bien adaptées au fonctionnement de la 5e République ?

C’est difficile à dire parce qu’on est seulement à trois primaires ouvertes dans l’histoire de la 5ème République et que nous n’avons encore aucune visibilité des suites de la PDC. Je ne peux pas vraiment être affirmative. Au regard de 2011, je trouve que cela ne fonctionne pas parce que l’on se retrouve avec des campagnes internes où les candidats sont obligés de s’égratigner. Cela laisse des traces. Cela a été le cas avec Royal en 2006 (dans le cadre de primaires fermées), tout comme avec Hollande. Non seulement Aubry a décliné tous les postes de ministres qu’on lui a proposés (mais Hollande ne lui a pas proposé le poste de Premier ministre, ce qui aurait pu être un attendu au vu des résultats des primaires), mais elle a en plus, même indirectement, alimenté les frondeurs. On se rend compte que ce n’est pas non plus simple pour Fillon. L’avenir nous dira si ce système a de l’avenir ou non. Tout ce que je peux dire aujourd’hui, c’est que la légitimité donnée à Hollande en 2011 n’a pas empêché les guerres internes dans le parti. Mais c’est difficile de dire si c’est à cause de la primaire ou de la politique menée par son vainqueur. On verra ce que nous apprend ces présidentielles 2017, si c’est un candidat issu d’une primaire interne qui gagne…



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