La « question citoyenne » protège-t-elle efficacement les plus vulnérables ?



Pour le dixième anniversaire de la Question prioritaire de constitutionnalité, le Conseil constitutionnel a souhaité en dresser le bilan avec l’aide d’universitaires. Des juristes toulonnais se sont attachés à en mesurer son efficacité auprès des personnes les plus vulnérables.

Autrefois l’apanage du Président de la République, du Premier ministre, des présidents des deux assemblées parlementaires ainsi que d’une soixantaine de députés et sénateurs qui, seuls, pouvaient saisir le Conseil constitutionnel a priori, avant la promulgation de la loi, le contrôle de constitutionnalité des lois peut, depuis le 1er mars 2010, être déclenché a postériori par tout justiciable qui demanderait à saisir le Conseil constitutionnel par une Question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Plus de 844 saisines ont été réalisées depuis, certaines apportant des évolutions notables dans le droit français : droit à l’assistance d’un avocat en garde à vue, reconnaissance du principe de fraternité, encadrement des hospitalisations d’office… La QPC semble néanmoins avoir également ouvert la porte aux lobbyistes, leur permettant de peser de tout leur poids sur la législation.

Il y a deux ans, le Conseil constitutionnel a initié de manière originale une démarche dénommée « QPC 2020 » afin de réaliser, avec l’aide de chercheurs appartenant à différentes universités, un bilan circonstancié de la première décennie de la « question citoyenne ». L’objectif de ces recherches consiste à en éclairer certains aspects encore insuffisamment documentés par un bilan d’étape accessibles à un large public.

Le Centre de droit et politique comparés Jean-Claude Escarras (CDPC-JCE) de l’Université de Toulon a apporté sa contribution à l’ouvrage, en pilotant un projet de recherche, en partenariat avec des universités espagnoles et italiennes, à travers une étude sur l’efficacité de cet outil à l’égard des personnes en situation de vulnérabilité (personnes malades et handicapées, enfants, travailleurs précaires, migrants, personnes détenues, gens du voyage).

« Comment ne pas considérer qu’un système de protection de droits et libertés, quel qu’il soit, n’est réellement efficace que s’il est véritablement capable d’offrir une protection aux personnes les plus vulnérables ? », s’interroge notamment Caterina Severino, Professeur de droit public à l’Université de Toulon, responsable du Master 2 Pratique du droit des étrangers et porteur d’un projet sélectionné dans le cadre de l’appel à projet « QPC 2020 ».

Un triptyque d’influences

Répondant à l’appel à projets « QPC 2020 » du Conseil constitutionnel et afin d’évaluer l’efficacité de ce nouveau système de protection, la recherche collective réalisée pendant 18 mois et dont les résultats ont été présentés au cours d’un colloque à la Faculté de droit de Toulon, en novembre 2019, a eu pour ambition de dresser un bilan de la jurisprudence QPC du Conseil constitutionnel sous un angle particulier : celui de la protection des personnes qui en ont le plus besoin, celles en situation de vulnérabilité.

« En ce sens, l’effectivité et l’efficacité de la protection des droits et des libertés des personnes vulnérables ont semblé être des paramètres particulièrement pertinents pour évaluer, de manière générale, l’efficacité du système de la QPC et pour vérifier s’il constitue un véritable progrès dans la protection des droits fondamentaux de ces personnes, par rapport à la procédure de contrôle a priori, en vigueur en France depuis 1958 », détaille l’enseignante toulonnaise.

Cette comparaison inédite, tant sur le plan quantitatif que qualitatif, en forme d’évaluation, menée autour de la QPC et des personnes en situation de vulnérabilité, sans gommer les avantages propres à ce mécanisme, a aussi permis d’en éclairer les zones d’ombre et d’ouvrir des pistes de réflexion qui seront peut-être celles d’évolutions.
Un bilan, mesuré et raisonné, peut être établi, s’articulant autour d’un triptyque des influences.

À commencer par la nature du contrôle exercé par le juge constitutionnel. La prise en compte du contexte concret dans lequel la loi est appliquée, dépend très largement de l’appréciation que ce dernier pourra réaliser de la situation de vulnérabilité du justiciable et, avec elle, d’un éventuel intérêt plus aiguisé pour la protection dudit justiciable. Entre la situation de vulnérabilité et la concrétisation du contrôle s’établit une sorte de rapport de proportionnalité.
Paradoxalement, il apparaît que, souvent, dans les systèmes étudiés, les personnes les moins protégées sont les personnes les plus vulnérables.

D’autre part, la présence de plusieurs voies d’accès, d’autres modes de saisine du juge constitutionnel n’est pas sans conséquence. La question prioritaire de constitutionnalité doit supporter l’influence négative du contrôle a priori qui, bien que fermé au citoyen, peut interdire, a posteriori, la contestation de dispositions législatives qui auraient pu faire l’objet d’une QPC. Paradoxe d’une concurrence qui n’aboutit pas à une amélioration du traitement du justiciable.

Enfin, dernière influence, celle des modalités procédurales propres aux mécanismes eux-mêmes et une nouvelle forme de l’exception française : le double filtrage. Le justiciable peinera à franchir les nombreux obstacles qui se dressent devant lui, dont le juge de premier ressort n’est pas le moindre. En sens inverse, l’absence de double filtre n’est synonyme ni de triomphe ni d’échec.



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