Travail à distance : cinq bonnes pratiques à emprunter au développement « open source »

Un logiciel est dit « open source » si son code source est ouvert et partagé permettant ainsi la contribution de nombreux utilisateurs. TheCorgi / Shutterstock

Kiane Goudarzi, IAE Lyon School of Management – Université Jean Moulin Lyon 3 ; Veronique Sanguinetti, Université Polytechnique des Hauts-de-France et Vincent Chauvet, Université de Toulon

L’épidémie de Covid-19 a forcé les organisations à proposer du travail à distance à tous les salariés pour lesquels l’activité s’y prête. Il ne s’agissait donc plus de télétravailler sur une partie de l’activité, mais de basculer toute l’activité et notamment toutes les activités collaboratives de ces salariés isolés par le confinement.

De la collaboration réelle à la collaboration virtuelle. instagram/ florence.trs

Dans le même temps, le besoin d’intelligence collective s’est accentué pour lutter contre ce virus et trouver rapidement des solutions innovantes. Des collectifs composés d’institutionnels, d’entreprises, de chercheurs d’universités, d’hôpitaux et d’organisations non gouvernementales ainsi que des bénévoles se sont rassemblés autour de projets destinés à répondre à la pandémie.

La problématique a donc été d’arriver à mobiliser plus d’intelligence collective en interne et en externe avec des partenaires d’innovation alors que la dématérialisation des échanges rendait la collaboration plus difficile.

Le monde du logiciel open source, qui fonctionne de façon mondialisée et dématérialisée depuis plus de 25 ans, a une grande expérience du travail collaboratif à distance.

La majorité des logiciels, en particulier Linux, sont construits sur la base de composants ayant été conçus collaborativement à distance. L’open source donne ainsi des clés pour adapter le travail à distance des organisations et favoriser des avancées médicales.

Un processus de codéveloppement

L’open source est d’abord une philosophie définie par l’ouverture et le partage du code source du logiciel. Plusieurs licences existent mais le système emblématique de protection des logiciels est le « copyleft » : le propriétaire du code source accorde à ceux qui le souhaitent les droits d’exécuter le code, de le consulter, de le modifier et de le distribuer, suivant les caractéristiques des licences choisies. Cela s’oppose au copyright qui est le droit de propriété classique.

La communauté open source fournit des guides aux individus et organisations qui souhaitent se lancer. Mais il s’agit surtout d’une organisation différente du processus d’innovation, qui mutualise les développements, via un codéveloppement avec des communautés de projet et des licences spécifiques.

La même philosophie peut être appliquée en dehors de l’informatique, par exemple avec des partages de plans ouverts pour une fabrication distribuée par imprimantes 3D. Face à l’épidémie, plusieurs entreprises industrielles, comme Decathlon et Medtronics dont on a beaucoup parlé, se sont inspirées de ces pratiques et ont rendu disponibles les plans de respirateurs, ventilateurs et masques nécessaires dans les hôpitaux.

Autre exemple, le partage de la recette de la solution hydroalcoolique par le biais de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour accélérer et massifier sa diffusion.

Ces pratiques s’inscrivent dans une démarche open source bien qu’elles n’intègrent pas toute sa puissance, notamment en matière de création continue de connaissance.

Les pratiques open source rassemblent, sur une base de volontariat, des utilisateurs sur toute la planète, qui le plus souvent ne se voient jamais, et qui contribuent si et quand ils le souhaitent. Les fondateurs et animateurs de ces communautés ont donc appris comment faire pour les motiver et rendre leur travail collaboratif à distance efficace, afin d’obtenir des projets en amélioration rapide et continue.

Le fonctionnement de l’innovation open source, à travers le cas des ventilateurs. instagram/ florence.trs

Pour comprendre le fonctionnement en mode collaboratif à distance des organisations qui utilisent l’open source et les bonnes pratiques mises en place, nous avons interrogé seize experts, chercheurs, dirigeants d’entreprises et animateurs de communautés open source.

Cinq bonnes pratiques à adopter

Pour nos experts, la « voie de l’open source » permet de faciliter la diffusion, de favoriser la coopération et de créer de la connaissance très rapidement et de façon ordonnée. La fabrication est distribuée, réalisée là où les organisations en ont besoin.

Les organisations (entreprises, universités, communautés de projets open source, etc.) qui la mettent en place ont les caractéristiques suivantes.

  • Elles donnent une place essentielle à la communication. Leurs dirigeants, avec souvent un leader incarné, passent beaucoup de temps à expliquer ce qu’ils font. Pour cela, elles développent une feuille de route ou « roadmap » stratégique, à la fois collaborative et précise, afin que les objectifs soient clairs, compris et partagés par tous. Une roadmap est une technique de planification de la stratégie qui définit les objectifs à court et à moyen terme, très utilisée par les communautés de projet open source. Elles proposent des projets utiles qui intéressent leurs contributeurs potentiels. Elles permettent aux personnes de contribuer en assurant l’accès aux sources, c’est-à-dire la transparence de l’information.
Le symbole du copyleft, avec un C réfléchi (ouvert à gauche), à l’inverse du copyright (C ouvert à droite). Wikimedia
  • Elles reconnaissent les apports de chacun à travers plusieurs éléments. Tout d’abord nous pouvons évoquer le système de copyleft assorti de la précaution « use it at your own risk » (utilisation sous la responsabilité de l’utilisateur). Par le copyleft, chacun peut savoir qui est à l’origine d’un composant open source et de sa dernière modification. Cette méthode fait partie intégrante des licences copyleft open source. Il y a également les « pull requests » c’est-à-dire la communication d’une intention de modifier un composant open source. Les réponses données dans les forums sont autant d’occasion pour que les expertises de chacun soient reconnus, ce qui renforce alors les activités collaboratives.

  • Elles décomposent les tâches en modules. Ceci permet l’« open superposition » de microtâches, et cela facilite ainsi la participation des individus ainsi que l’intégration des innovations apportées par chacun. Comme les tâches ont été découpées, elles peuvent être confiées à de multiples personnes. Les méthodologies et outils de l’open source leur permettent d’agir de façon asynchrone sur ces tâches ; les micro-innovations sont alors superposées. La modularité permet aussi de distinguer ce qui est générique de ce qui est spécifique à chaque entreprise, et de partager de façon totalement ouverte ce qui est générique.

  • Elles mettent en place de nombreux dispositifs de collaboration. Il est alors possible de travailler de manière synchrone et asynchrone à distance grâce à des méthodologies, des documentations, des outils de suivi des versions, de tests et d’intégration des innovations proposées. Ces organisations adoptent également des principes collaboratifs sous forme de codes de conduite pour favoriser l’inclusion, par exemple le « Linux code of conduct » (code de conduite Linux).

  • Elles innovent en matière économique. Elles fondent leurs modèles économiques éventuels sur de la double licence et sur des services de maintenance et de personnalisation de composants open source en perpétuelle évolution.

Les cinq bonnes pratiques de l’innovation open source. instagram/ florence.trs

À ce jour, l’open source constitue l’innovation organisationnelle la plus à même de répondre aux exigences collaboratives du travail à distance. Elle facilite la diffusion et la coopération, et permet d’accélérer la création de connaissances.

Pour les chercheurs en médecine, il s’agit donc désormais de basculer vers de l’« open science » et ainsi de créer de meilleurs conditions et outils de lutte contre le Covid-19. Cette nécessité d’une recherche ouverte et collaborative vaut d’ailleurs tout autant pour les chercheurs en management.


Cet article a été élaboré suite à un appel à contributions flash de la Revue française de gestion dans le contexte de la crise sanitaire engendré par la pandémie de Covid-19.< !—> The Conversationhttp://theconversation.com/republishing-guidelines —>

Kiane Goudarzi, Professeur des Universités, IAE Lyon School of Management – Université Jean Moulin Lyon 3 ; Veronique Sanguinetti, Enseignante chercheuse, Université Polytechnique des Hauts-de-France et Vincent Chauvet, Professeur des Universités, Université de Toulon

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.