Charlotte CUNCI, laboratoire MIO

Depuis les profondeurs méditerranéennes jusqu’aux modèles numériques, Charlotte Cunci suit les courants marins comme d’autres lisent les lignes de la main. Son objet d’étude ? La dispersion du plastique dans le bassin ouest de la Méditerranée. Son moteur ? Une fascination d’enfance pour l’eau, un désir d’agir pour la planète et la conviction que la science peut faire changer les lois. Portrait d’une jeune chercheuse pour qui l’océan est bien plus qu’un sujet de thèse.

Pourquoi avoir choisi une petite balle antistress pour te représenter ?

Alors ce n’est pas tant la balle dans sa fonction antistress que ce qu’elle représente elle-même : la planète Terre qui est couverte à 70 % par les océans. Et je fais ma thèse sur les courants marins et leurs trajectoires. Et puis symboliquement, je trouve ça fort : c’est une petite planète, fragile qu’on peut tenir dans la main.

Tu parles de l’océan avec une grande affection. Il y a un lien personnel derrière ?

Ah oui, complètement. La mer c’est mon élément. Depuis toute petite, je passe mes vacances en Corse. Mon père y a grandi, et m’a transmis cette passion de la mer. On fait de la plongée ensemble. J’ai grandi les pieds dans l’eau, appris à nager avant de marcher et à faire de l’apnée, à observer. C’est là que j’ai compris que ce milieu marin était immense car relié à l’ensemble des océans de la planète, vivant et essentiel et j’ai eu envie de travailler dans ce domaine. Ça ne vient pas de nulle part, c’est une vraie histoire d’amour.

« L’océan influe sur les animaux, les êtres humains, le climat… sur toute la planète »

Concrètement, sur quoi porte ta recherche aujourd’hui ?

Je travaille sur la dispersion du plastique en Méditerranée, et plus précisément dans le bassin ouest de Gibraltar à la Sicile. Mon outil principal, c’est un modèle numérique : des équations qui simulent les courants marins, en 3d. J’y injecte des particules virtuelles de plastique, et je regarde où elles se déplacent, se dispersent, s’accumulent, au fond, en surface, sur les côtes ? Est-ce qu’elles se dégradent ? Est-ce qu’elles sortent du bassin ? (spoiler alert  : non, ou très peu). Mon objectif, c’est de mieux comprendre les trajectoires, les zones d’accumulation et les dynamiques de dispersion.

Pourquoi la Méditerranée en particulier ? Est-elle plus touchée que d’autres régions du globe ?

Oui, et c’est ce qui rend cette mer si préoccupante. D’abord, c’est un bassin complexe : il y a une entrée d’eau par le détroit de Gibraltar, mais la sortie est très petite, elle se fait uniquement en profondeur et sinon par évaporation sur tout le bassin. Les plastiques ne peuvent pas vraiment s’échapper, il y a donc une concentration élevée. Ensuite, c’est une région très densément peuplée. Les côtes méditerranéennes sont parmi les plus habitées au monde. On trouve du plastique sur les plages et sur toute la profondeur d’eau. Et ce sont souvent des microplastiques, voire des nanoplastiques.

As-tu déjà des résultats concrets à ce stade de ta thèse ?

Je suis en deuxième année, donc c’est encore en construction mais je prépare un article sur les zones probables d’accumulation de surface en Méditerranée occidentale. Je collabore aussi avec l’association Surfrider Foundation, qui a des données de terrain, notamment sur les biomédias (des déchets plastiques issus des stations d’épuration). Ils en retrouvent beaucoup sur les côtes de Corse. Mon but, c’est de comparer ces données avec mes simulations.

Comment en es-tu venue à ce sujet ? Est-ce que tu as toujours voulu travailler sur la pollution plastique ?

Pas du tout, en fait. Au départ, j’étais fascinée par les mammifères marins, les baleines, les dauphins… comme beaucoup d’étudiants en océanographie. Et puis au fil de mes études, je me suis passionnée pour les courants marins, pour la physique de l’océan. Comprendre comment l’eau bouge, comment l’océan se meut.
Le plastique est venu après. Je cherchais une thèse en océanographie physique, sur le transport des masses d’eau. Un marqueur pour l’étudier, c’est le plastique. J’avoue qu’au départ, ce n’était pas un sujet qui me tentait particulièrement. Et maintenant, je me rends compte à quel point il est crucial de modéliser son accumulation dans l’océan.

Quel a été ton parcours jusque-là ?

Assez linéaire, en fait. J’ai fait un bac S, parce que j’aimais les sciences, surtout la SVT et la physique. Ensuite, j’ai suivi une licence «  Mer  » à Aix-Marseille Université. En première année, c’était assez général : biologie, maths, physique. Puis dès la deuxième année, on est entré dans le vif du sujet avec l’océanographie physique et biologique. J’ai découvert les courants marins, et ça m’a tout de suite parlé. Je trouve ça fascinant de pouvoir modéliser cette immense masse d’eau par des équations. Elle influe sur les animaux, les êtres humains, le climat, elle influe sur toute la planète.
Ensuite, j’ai fait un master «  Sciences de l’océan, de l’atmosphère et du climat  » à Sorbonne Université. J’ai travaillé pendant 6 mois avec le laboratoire Plastic At Sea et puis j’ai commencé ma thèse ici, à Toulon.

Tu as aussi participé à l’expédition One Ocean, organisée par l’Agence spatiale européenne. Qu’est-ce que cette expérience t’a apporté ?

C’était incroyable ! J’ai passé un mois et demi à bord d’un grand voilier avec 60 étudiants du monde entier et des chercheurs de l’ESA. On naviguait, participait aux manœuvres, et on faisait de la science. Mon projet consistait à identifier avec des données satellitaires en temps réel, des zones de l’océan intéressantes où les courants marins convergent ou forment des structures particulières. De Tromsø à Nice, le but était de prélever des microplastiques en surface avec un filet manta et ensuite de comparer ces échantillons pour identifier les zones d’accumulation. Scientifiquement, j’ai beaucoup appris sur les méthodes de prélèvement in situ et sur l’usage des satellites pour l’océanographie. Humainement, c’était très fort : vivre en communauté, partager le quotidien, créer des amitiés. Cela m’a donné confiance et une ouverture européenne précieuse pour la suite de ma carrière.

Est-ce que tu as rencontré des difficultés, en tant que femme, dans les sciences ?

Honnêtement, pas vraiment. En océanographie physique, on n’est pas très nombreux, donc les gens qui sont là sont souvent très passionnés, peu importe leur genre. Il faut juste se donner à fond. J’ai toujours trouvé ça assez ouvert, bienveillant. Après, bien sûr, dans la vie de tous les jours, il peut y avoir des comportements sexistes, mais dans mes études et mon domaine de recherche, je n’ai pas eu à lutter pour être légitime.

« Il faut toujours suivre ses rêves, ses intuitions et essayer »

Quel genre d’élève étais-tu au collège, au lycée ?

Plutôt bonne élève et sage, je dirais. J’étais très curieuse, je me donnais à fond surtout dans les matières qui m’intéressaient : les maths, la SVT, la physique… un peu moins le français ou la philo, mais je m’en sortais quand même. Cela ne m’a pas bloqué pour la suite. Je n’étais pas dissipée, plutôt assez timide, donc je ne participais pas beaucoup en classe, mais je travaillais sérieusement. Je pense que ce qui m’a aidée, c’est d’avoir trouvé tôt ce qui me passionnait. Ça donne une direction.

Si tu devais donner un conseil à un élève qui s’intéresse aux sciences, ou à l’océanographie ?

Qui ne tente rien n’a rien ! Il faut toujours suivre ses rêves, ses intuitions et essayer. Parce que si on n’essaye pas, on ne peut rien obtenir. Il faut toujours tenter.
Un conseil en océanographie physique, il faut bachoter la mécanique des fluides. C’est une des choses les plus compliquées. Mais on apprend. Je ne connais pas toutes les formules par cœur, et ce n’est pas grave : l’important, c’est de savoir où chercher, de comprendre les phénomènes. Et puis, il y a plein de voies possibles dans l’océanographie, pas seulement la physique.

Pour finir, si tu devais recommander une œuvre qui t’inspire ou qui parle de ton sujet de recherche, ce serait quoi ?

Je pense au documentaire X Trillion, qui retrace le parcours de quatorze femmes parties en expédition à la voile dans le gyre du Pacifique nord, ce qu’on appelle le Great Pacific Garbage Patch. Elles voulaient récolter du plastique pour mesurer l’étendue de cette pollution dans cette zone. Et en fait, elles ont été choquées d’en voir autant, même à l’œil nu. Elles ont fait des prélèvements, des analyses… C’est un film fort, scientifique et engagé.
Sinon, j’aime beaucoup les photos du biologiste naturaliste Laurent Ballesta. Il fait de la plongée profonde et photographie la vie marine avec un regard artistique. C’est magnifique, et ça donne envie de protéger cet univers.