Claire DUNE, laboratoire COSMER

Claire Dune, Maître de conférences en robotique à l’Université de Toulon, travaille au laboratoire COSMER sur l’autonomie des robots en milieu contraint, notamment sous-marin. Passionnée depuis toujours par les sciences et la technologie, elle nous raconte son parcours, ses recherches et sa vision de l’avenir d’une discipline en pleine révolution.

Pourquoi as-tu choisi d’apparaître avec ce robot pour ton portrait ?

SEASAM a été conçu au départ pour l’interaction entre plongeurs et robots. Un sujet de recherche que je traite en ce moment. C’était un cameraman autonome, censé accompagner les plongeurs et filmer automatiquement leurs plongées, pour le loisir comme pour la formation. Comme je suis moi-même plongeuse et monitrice de plongée, j’ai tout de suite été séduite par cette idée. Il a également une place à part au Cosmer.
Il a été construit près d’ici, à Marseille, en 2015, l’année où nous avons créé le laboratoire. Dès les années 2020, on a travaillé avec l’entreprise qui l’avait conçu pour développer des interactions entre drones et plongeurs, le plus naturellement et intuitivement possible. Ce qui m’a beaucoup plu, c’est que c’était un projet pluridisciplinaire, qui impliquait aussi bien des chercheurs de l’université en sport et santé (laboratoire J-AP2S) que des chercheurs en sciences humaines (IMSIC), qui s’intéressaient à l’impact de la présence d’un robot et son rôle dans un groupe de plongeurs.
C’est un robot marquant dans mon parcours, parce qu’il incarne une spécificité forte du COSMER : notre orientation vers la robotique expérimentale. Nous faisons ce qu’on appelle de la field robotics, c’est-à-dire de la robotique en conditions réelles. Pour moi, c’est essentiel. Mon objectif, c’est de développer des recherches qui permettent aux robots d’acquérir de nouvelles fonctionnalités, pour tendre vers plus d’autonomie dans les missions qu’on leur confie.

Concrètement, sur quoi portent tes recherches aujourd’hui ?

Je travaille sur la commande des robots à partir de leur perception visuelle. L’idée, c’est de créer un lien entre les mouvements des robots et leur perception de l’environnement via les caméras embarquées.
Cela implique plusieurs étapes : comprendre la scène, estimer la position relative du robot par rapport à des objets, puis adapter son comportement pour interagir. Ma recherche consiste à créer ces liens entre vision et mouvement des robots. C’est très bio-inspiré, l’être humain fait ça en permanence : il ajuste ses gestes en fonction de ce que nous voyons.
Moi je travaille plutôt sur la partie logicielle : programmation, modélisation, traitement du signal et des données. Mon rôle est de développer des modèles pour la commande. Mais aujourd’hui, ce domaine vit une révolution : on peut faire la même chose sans modèle, uniquement avec des données. En gros, un robot réalise plusieurs fois une mission, parfois en simulation, parfois en vrai, et il apprend par lui-même grâce au reinforcement learning.

« La robotique sera l’incarnation de l’intelligence artificielle »

Quelles applications concrètes peut-on attendre de tes recherches ?

Dans un environnement contrôlé où l’on sait exactement où tout est situé, on peut préprogrammer les robots.
En revanche, dès qu’on introduit des humains, qui déplacent des objets ou se déplacent eux-mêmes, ou dès lors qu’on est dans des espaces naturels extérieurs, on ne peut plus tout anticiper. Le robot doit pouvoir réagir en temps réel aux imprévus. Si, dans un musée, quelqu’un coupe la route d’un robot-guide, il doit pouvoir recalculer sa trajectoire et l’éviter.
C’est exactement ce que je développe : donner aux robots des capacités de perception qui leur permettent d’ajuster leurs actions.
En robotique sous-marine, c’est encore plus flagrant. Quand on descend à plusieurs milliers de mètres, les systèmes de localisation basés sur le son ont une marge d’erreur d’une dizaine de mètres. Avec les caméras, on peut affiner la localisation jusqu’au centimètre. C’est ce qu’on fait par exemple avec l’Ifremer, où les robots doivent cartographier des sites sous-marins et revenir observer une même zone plusieurs années de suite. Mes recherches trouvent aussi une application en robotique aérienne. Il y a des parallèles entre drones sous-marins et aériens.

Quelles études t’ont menée jusqu’à la robotique ?

J’ai suivi un parcours linéaire. Bac S en 2000, classe préparatoire Physique Chimie Sciences de l’Ingénieur, puis l’école d’ingénieurs Télécom Strasbourg. Après mon stage de fin d’études chez Siemens, à Munich en Allemagne, j’ai choisi de poursuivre en recherche.
J’ai fait une thèse en Bretagne, à l’INRIA, en partenariat avec le CEA, sur la commande visuelle pour la saisie d’objet pour les personnes en situation de handicap. J’ai ensuite obtenu une bourse postdoctorale grâce à laquelle j’ai passé un an et demi au Japon. Puis j’ai été recrutée à l’Université de Toulon en 2010.

Tu savais très tôt que tu voulais faire de la robotique ?

Pas vraiment. Ce qui m’attirait, c’était la technologie, les sciences de l’ingénieur. Mes parents tenaient un magasin de matériel nautique, donc j’ai grandi au contact d’innovations technologiques pour les bateaux. Je me souviens que les visites des fournisseurs étaient des moments de fête pour moi : ils nous montraient les nouveautés, les cartes électroniques, les instruments… J’adorais ça.
J’ai longtemps hésité entre médecine, kiné et sciences. Ce sont mes enseignants qui m’ont dirigée vers une prépa. Ensuite, en école d’ingénieurs, j’ai découvert l’automatique, la robotique et la vision. J’ai aussi fait un stage au Québec en traitement d’image pour l’oncologie. C’est là que j’ai pris conscience qu’un robot aurait pu faire beaucoup mieux que nous pour repositionner des instruments.
Ça m’a donné envie de travailler sur l’interaction vision mouvement.
Au départ, je voulais être ingénieure. Mais chez Siemens, mes collègues m’ont dit : «  Tu as un profil trop curieux, tu seras frustrée si tu fais seulement de l’ingénierie.  » C’est comme ça que j’ai bifurqué vers la recherche.

« Dans les dix ans qui viennent, les métiers de la robotique vont exploser »

Qu’est-ce qui te passionne dans la recherche ?

C’est l’ambition des projets. L’ingénieur délimite un cadre dans lequel sa solution fonctionne. Le chercheur, lui, s’attaque aux zones d’ombre, repousse les limites, cherche à améliorer, à révolutionner. C’est plus créatif, plus avant-gardiste.
Et puis il y a la liberté de définir ses projets, d’arrêter ou d’en commencer d’autres. Ça a un prix. Mon directeur de thèse m’a dit : «  bienvenue dans la recherche, tu viens de diviser ton salaire par deux mais tu ne le regretteras jamais.  »

Quel genre d’élève étais-tu au collège et au lycée ?

Au collège, dans mon petit port breton de 3 000 habitants, j’étais très scolaire et très bavarde. Toujours volontaire, toujours partante. Au lycée, ça a été dur : j’ai intégré un grand établissement, et j’ai découvert l’écart avec des élèves mieux préparés. J’étais timide, réservée, impressionnée par les élèves qui venaient de grands collèges. Mes notes ont chuté.
Mais j’ai tenu grâce au sport, ça m’a aidée à garder confiance en moi.

Quel conseil donnerais-tu à un lycéen qui hésite à se lancer dans la robotique ?

On regrette rarement ses échecs, mais souvent de ne pas avoir tenté. Il vaut mieux viser haut, quitte à échouer et revenir un peu plus bas, que de ne pas oser. On se construit par l’erreur.
Et puis je leur dis aussi que dans les dix ans qui viennent, les métiers de la robotique vont exploser. On vit une révolution : la robotique sera l’incarnation physique de l’intelligence artificielle. Il faudra cependant se demander quelle place lui donner car la Terre à des ressources limitées et il va falloir faire des choix. Il ne faut pas envisager d’avoir chacun un robot chez soi mais plutôt imaginer et définir les applications robotiques qui nous permettraient de mieux vivre : agriculture, chirurgie, exploration de milieux extrêmes, réindustrialisation.
Enfin, j’insiste sur le goût de l’effort. On peut prendre du plaisir à travailler, à résoudre un problème.

Y a-t-il une œuvre qui illustre bien ton univers de recherche ?

Oui, les romans d’Isaac Asimov. Il a défini les fameuses trois lois de la robotique, et il a exploré dans ses nouvelles les implications sociales de la présence des robots. Ce sont des questions qu’on se pose réellement aujourd’hui. On en retrouve d’ailleurs des échos dans le film I.Robot.