Einstein à travers le New York Times

Dans son nouvel ouvrage*, Albert Einstein : une biographie à travers le temps, Jean-Marc Ginoux, enseignant-chercheur à l’Université de Toulon, dresse un portrait du plus célèbre des scientifiques à travers des articles du New York Times.

« Reconstruire la biographie d’Albert Einstein à partir de ce que les journaux ont écrit à son propos est un véritable puzzle dans le sens où il faut assembler les pièces mais pas nécessairement dans l’ordre de parution. Par exemple, ses vingt premières années de jeunesse n’ont fait l’objet d’articles qu’après sa mort, explique le maître de conférences (Dr. en mathématiques appliquées et Dr. en histoire des sciences). En nous servant d’articles de quotidiens pour raconter l’histoire de la vie d’un savant, nous avons initié avec Christian Gérini, maître de conférences en sciences de l’information et de la communication à l’UTLN, une nouvelle approche qui peut, en quelque sorte, être comparée au mouvement Pop Art qui utilise des objets du quotidien pour créer des œuvres d’art et que nous avons ainsi décidé d’appeler par analogie la Pop History ».

Plusieurs milliers de coupures presse, sur les 10 000 consultées, permettent de reconstruire la vie du scientifique qui est ainsi présentée selon un découpage en périodes et étapes qui forment un ouvrage de près de 900 pages. Dans ce livre pas de longs paragraphes retraçant les expérimentations qui ont permis de découvrir et théoriser la relativité générale, ni des pages de calculs interminables, mais de nombreuses anecdotes sur la vie du chercheur au quotidien. On y apprend comment il a découvert la théorie de la relativité générale – en voyant un voisin tomber du haut de son toit « heureusement sans gravité ».
On y découvre également ses combats politiques pour la cause juive, celle des noirs et le socialisme, ses rencontres avec Charlie Chaplin et Winston Churchill, ou encore l’origine de la plus célèbre photo de lui :

« Il sortait d’une fête donnée à l’occasion de son soixante-douzième anniversaire au Princeton club. Il était fatigué. On le voit sur les photos précédentes, assis dans un taxi entouré par son collègue, Franck Aydelotte et sa femme. Là, un photographe s’approche et lui demande de sourire. Mais Einstein en avait marre. Il lui tire la langue et se détourne. Il n’imaginait pas qu’Arthur Sasse serait assez rapide pour prendre cette photo. Finalement, Einstein l’apprécia tellement qu’il en commanda plusieurs exemplaires », détaille Jean-Marc Ginoux.

Un génie controversé

Mais cette biographie met également en lumière les parts d’ombre du personnage. On le découvre plagiaire : la théorie de la relativité restreinte ? Inspirée d’Henri Poincaré ! La courbure de la lumière ? Déjà énoncée et calculée en 1804 (115 ans avant) par Johann Von Soldner ! Ce qui lui vaudra une campagne de dénigrement, fomentée par certains de ses collègues proches du régime nazi, lors de l’attribution de son Nobel de physique.

Einstein deviendra célèbre du jour au lendemain, grâce à la presse. Mais, ayant succombé aux atours de la popularité, il n’hésitera pas à se servir des journaux - et réciproquement : un article sur lui fait vendre de nombreux tirages - pour le remettre sur le devant de la scène lorsqu’il sentait son aura s’étioler. Une relation tumultueuse qui ne sera pas toujours sans conséquence. Albert Einstein parle sans filtre, critiquant sans réserve un pays qui l’a pourtant accueilli à bras ouverts : les États-Unis. « En 1921, Albert Einstein déclare au correspondant du New York Times à Berlin que les américains “sont les toutous des femmes, qui dépensent l’argent sans compter et s’entourent d’un voile d’extravagance“. Des propos qui feront scandales, relate encore Jean-Marc Ginoux. Et lui créeront des problèmes :

« lorsqu’il demandera sa nationalité américaine pour échapper à l’Allemagne nazie, les féministes du Woman Patriot Corporation mettront leur veto et demanderont une enquête », assure encore l’historien toulonnais.

Ses prises de position en faveur des communistes lui vaudront également de tressaillir face à la « peur rouge » de Mc Carthy.

« C’est le premier scientifique people. Aucun autre n’a depuis connu un tel succès, souligne Jean-Marc Ginoux. Albert Einstein est un homme ambivalent. Cet ouvrage retrace en quelque sorte l’itinéraire d’un enfant gâté. Il est génial donc on lui pardonne tout. »

* en librairie depuis le 30 novembre

Albert Einstein donnant une conférence de presse aux journalistes du New York Times à Pittsburgh le 28 décembre 1934