Du chaos dans votre tasse de thé

En étudiant le comportement d’une thermistance, Jean-Marc Ginoux, maître de conférences (HDR), chercheur dans le domaine des systèmes dynamiques et de leur histoire, a découvert un nouvel attracteur chaotique.
Protéiforme, il pourrait permettre la modélisation de nombreux phénomènes. Ses travaux de recherche ont fait l’objet d’une publication dans la revue Nature, Scientific Reports.

En science, les systèmes dynamiques imprédictibles constituent la base de la théorie du chaos. Si l’on ne peut pas expliciter analytiquement la solution de ces systèmes, également appelée trajectoire, ni connaître avec précision l’évolution de son comportement sur le long terme, on peut néanmoins la représenter graphiquement. Il apparaît alors que cette trajectoire peut être astreinte à se déplacer sur une sorte de « surface » que l’on appelle attracteur étrange ou attracteur chaotique. Certains attracteurs peuvent alors prendre des formes animales comme le papillon de Lorenz dont « le battement d’ailes au Brésil peut produire une tornade au Texas ». Otto Rössler a découvert une moule chaotique, Chris Langton une fourmi…

Jean-Marc Ginoux, Dr. en Mathématiques et Dr. en Histoire des Sciences à l’Université de Toulon, avait déjà un animal totem – un escargot, découvert en 2005 – quand, en étudiant le comportement d’une thermistance dans un système non linéaire Muthuswamy-Chua, il a récemment mis en évidence un nouvel attracteur chaotique formé de deux spirales reliées l’une à l’autre, en boucle fermée.

« La forme en spirale n’est pas nouvelle. Ce qui est nouveau, c’est la double spirale. Cela ne s’était jamais vu jusqu’à présent !, s’enthousiasme l’enseignant-chercheur à l’IUT GMP. L’attracteur chaotique à double spirales représente un dispositif physiquement existant, la thermistance, qui change en fonction des valeurs des paramètres. Il prend toutes les formes possibles sur une plage de paramètres et passe d’un attracteur à un autre. »

Son aspect protéiforme, sa richesse et sa complexité analytique semblent indiquer que cet attracteur pourrait devenir paradigmatique puisqu’il est non seulement capable de représenter l’évolution de la température d’une thermistance mais également celle de bon nombre d’autres phénomènes. En effet, les attracteurs chaotiques peuvent apparaître dans de multiples domaines scientifiques comme la météorologie, la chimie, la physique, la sociologie, la biologie, l’ingénierie, l’économie ou encore l’électronique

La thermistance est-elle un memristor ?

En 1971, Léon Chua, Professeur au département de Génie Électrique et d’Informatique de l’Université de Berkeley, conceptualisa l’idée qu’il existait un quatrième élément passif de base, aux côtés de la résistance, de la bobine et du condensateur : une résistance non linéaire à mémoire ou mémristance (memristor en anglais). Il fallut néanmoins attendre 2008 pour que Stanley Williams, chercheur en nanotechnologies chez Hewlett-Packard, donne véritablement corps au premier memristor. Si les premiers bénéfices attendus sont de substantielles économies d’énergie avec la création d’ordinateurs capables de conserver les informations sans alimentation – adieu frustrant temps d’attente au démarrage ! - les récentes avancées devraient permettre à ce composant de soutenir le développement de l’intelligence artificielle en imitant le fonctionnement des synapses humains.

En. 1976, Léon Chua formulait l’hypothèse que des appareils bien connus des électroniciens en présentaient les mêmes caractéristiques, tels que des tubes à décharge, des diodes de jonction, les néons ou les thermistances. Une résistance dont la température varie en fonction de l’impulsion électrique reçue. Disponible également auprès du grand public, on s’en sert généralement pour réchauffer l’eau dans laquelle on infuse son thé earl grey.

Afin de vérifier leur hypothèse, l’électronicien et son assistant, Bharathwaj Muthuswamy, ont d’abord construit un circuit électronique pour étudier le comportement du memristor et obtenu du chaos. Le memristor a ensuite été remplacé par une thermistance mais les résultats obtenus n’étaient jusqu’à présent pas aussi satisfaisants qu’espérés.

Pour permettre aux ordinateurs de représenter graphiquement l’évolution de systèmes chaotiques, on est obligé de faire une approximation. Celle qu’avait réalisée Bharathwaj Muthuswamy était linéaire alors que le comportement d’une thermistance est non linéaire, résume Jean-Marc Ginoux. Lorsqu’il m’a fait part de son problème, j’ai essayé d’approximer la caractéristique de la thermistance par une fonction non linéaire polynomiale et non exponentielle comme c’est le cas habituellement. C’est là que le miracle s’est produit !

Après avoir observé l’attracteur chaotique à double spirale, l’enseignant toulonnais a ensuite soumis son hypothèse aux affres de la réalité en mettant au point un circuit électronique comportant quatre éléments  : un inducteur passif linéaire, un condensateur passif linéaire, une résistance non linéaire et une thermistance. Le but de ce travail étant d’utiliser cette memristance physique dans un système chaotique Muthuswamy-Chua au lieu d’émulateurs de memristor.

Depuis l’annonce de la création de ce composant électronique par les laboratoires HP, les circuits chaotiques basés sur des memristors abondent. Néanmoins, ces derniers n’avaient pas pour l’instant utilisé de thermistance pourtant facilement disponible.

Le dispositif Muthuswamy-Chua-Ginoux démontre ainsi que non seulement la thermistance présente un comportement chaotique mais confirme également que la thermistance est bien un memrsitor comme l’avait supposé Leon Chua en 1976.

A lire également :

Ginoux, J.-M., Muthuswamy, B., Meucci, R. et al.
A physical memristor based Muthuswamy–Chua–Ginoux system. Scientific Reports, Nature, 10, 19206 (2020).
https://doi.org/10.1038/s41598-020-76108-z
https://www.nature.com/articles/s41598-020-76108-z