IMath : des travaux sur la cryptographie au cœur de nos transactions bancaires
À l’occasion de l’ouverture du nouveau Master d’informatique et de mathématiques, les enseignants-chercheurs du département d’informatique de l’UFR Sciences et techniques ont invité Anne Canteaut à donner une conférence sur la cryptanalyse. La chercheuse à l’INRIA, nommée femme scientifique de l’année 2023, en a profité pour revenir sur sa collaboration de longues dates avec les chercheurs toulonnais du laboratoire IMath et l’impact de leurs travaux dans notre quotidien.
On peut dire qu’Anne Canteaut a le sens de la formule.
« Je vais vous apprendre quelque chose que vous ne savez probablement pas mais le laboratoire IMath de l’Université de Toulon est à l’origine de protocoles cryptographiques que vous utilisez tous les jours », s’amuse-t-elle en désignant ostensiblement son smartphone à son auditoire constitué d’enseignants et d’étudiants de l’UTLN.
Fondé en 2006, l’Institut de Mathématiques a pour objectif de fédérer le potentiel de recherche en mathématiques appliquées de l’Université de Toulon ainsi que certains axes spécifiques de la recherche en informatique. Au sein de cet institut, les chercheurs de l’équipe IAA travaillent notamment sur les primitives cryptographiques. Ces briques de base sur lesquelles reposent tous les protocoles assurant la confidentialité des données : connexion https, vote électronique, transaction bancaire…
De quoi parle-t-on ?
Il existe des règles à suivre lors de l’élaboration d’une primitive cryptographique. L’une d’entre elles stipule qu’une telle primitive doit en particulier être constituée d’une transformation dite non-linéaire.
« Si vous placez une somme de 100 euros à 10% sur un an, vous percevrez 10 euros d’intérêts en fin d’année. Si vous ajoutez à vos 100 euros, 50 euros, vous percevrez 10% de 100+50 euros, soit 15 euros. Ce qui correspond aussi à 10% de 100 euros + 10% de 50 euros » explique Pascal Véron, enseignant à l’UFR Sciences et Techniques et chercheur au laboratoire IMath de l’Université de Toulon. « La fonction "calcul d’intérêts" est une opération dite linéaire : les intérêts d’une somme de 2 placements sont égaux à la somme des intérêts de chacun des placements. »
Considérons à présent la fonction qui calcule le nombre de chiffres d’un entier. Par exemple nb_chiffres(100) = 3, il faut 3 chiffres pour écrire le nombre entier 100. On a aussi nb_chiffres(200) = 3.
Si on considère enfin l’entier 300 = 100 + 200, on a de même nb_chiffres(300) = 3. Le nombre de chiffres pour représenter 100+200 n’est donc pas égal à la somme du nombre de chiffres pour représenter 100 et du nombre de chiffres pour représenter 200. Cette fonction est un exemple de fonction non-linéaire.
La transformation non linéaire intégrée au sein d’une primitive cryptographique doit aussi être "facilement" calculable et implémentable sur une machine pour des raisons évidentes de performance. Vous ne voulez pas attendre trop longtemps devant le distributeur bancaire ?
À l’heure actuelle, la transformation non linéaire qui possède toutes les propriétés requises pour élaborer une primitive cryptographique est la fonction qui transforme x en x^(-1) appelée aussi fonction inverse.
Ce sont Gilles Lachaud, directeur de recherche au CNRS et Jacques Wolfmann, professeur à l’Université de Toulon, qui ont prouvé les propriétés exceptionnelles de cette fonction. Jacques Wolfmann a créé le GECT (Groupe d’Étude du Codage de Toulon) en 1982, qui est ensuite devenu le GRIM (Groupe de Recherche en Informatique et Mathématiques). Depuis 2006, les membres du GRIM constituent l’équipe IAA (Informatique et Algèbre Appliquée) du laboratoire IMath.
Suite à ses propriétés exceptionnelles, la fonction inverse a été choisie pour élaborer l’AES (Advanced Encryption Standard) qui est depuis les années 2000 le standard international de chiffrement des données, utilisé aussi bien au sein des téléphones portables que dans les réseaux wifi. L’IMath a donc contribué via Jacques Wolfmann à l’émergence de ce standard international.
À l’heure actuelle, l’équipe IAA continue à travailler sur la recherche de bonnes fonctions en collaboration avec Anne Canteaut, directrice de recherche dans l’équipe-projet Inria COSMIQ. Virtuose de la cryptographie et lauréate du prestigieux prix Irène Joliot-Curie 2023 la désignant femme scientifique de l’année, Anne Canteaut travaille à la conception et à l’analyse de la sécurité d’algorithmes cryptographiques, dans le contexte classique ou quantique.
Le laboratoire IMath participe également à l’élaboration d’un protocole cryptographique résistant à l’ordinateur quantique.